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08.03.2022

Entretiens de l'OIEFintelligence économiquesouveraineté

par La rédaction

Repenser la souveraineté : entretien avec Lorraine Tournyol du Clos

Pour l’Observatoire de l’intelligence économique, Lorraine Tournyol du Clos, conseillère du président de l’Institut Choiseul Pascal Lorot, revient sur la notion fondamentale de souveraineté. Notion au cœur de la démocratie, elle ne cesse d’évoluer en fonction des enjeux économiques, géostratégiques et politiques contemporains. Autrice d’une toute récente étude publiée par l’Institut Choiseul, Repenser la souveraineté – Briser la tragédie des horizons, Lorraine Tournyol du Clos a accepté de nous donner les idées phares de sa réflexion, sur une notion à la fois ancienne et plus d’actualité que jamais.

1. Pourquoi estimez-vous dans la note que la souveraineté est une notion importante, contemporaine et à revitaliser ?

Il faut revitaliser le débat sur la souveraineté parce que c’est une notion mal connue et mal aimée (on l’amalgame souvent – à tort – avec le souverainisme, le nationalisme, le populisme ou l’anti-européanisme). Il faut dissiper les malentendus.

La souveraineté est une notion importante parce qu’elle constitutive même de l’État de droit : au sens constitutionnel, l’exercice de la souveraineté au nom du peuple (à qui elle appartient) est la première des missions de l’État. Notre régime politique ou si l’on veut notre organisation politique, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles l’État exerce la souveraineté au nom du peuple, est à la base même de notre Contrat social, qui définit les droits et les devoirs de chacun. Il est donc sain, dans une démocratie vivante, que ces conditions soient régulièrement rediscutées collectivement pour qu’elles soient réappropriées par chacun.

La souveraineté est une notion contemporaine parce qu’elle est régulièrement questionnée par les évolutions de notre monde : est-on encore souverain quand les importations engendrent une situation de dépendance stratégique (pour certains États, pétrole lors du krach de 1973, gaz russe aujourd’hui) ? Est-on encore souverain quand une crise financière place en quasi-situation de défaut (Europe du Sud pendant la crise de 2008-2010) ? Comment défendre sa souveraineté nationale, définie par la Constitution, et l’articuler avec les délégations de compétences européennes prévues par les traités ?

2. Qu’est-ce que la souveraineté selon vous ?

Au sens courant, la souveraineté est la capacité à décider et à agir sans en référer à quiconque. En France, le peuple est souverain et en délègue l’exercice à l’État (art.3 de la Constitution).

La définition consacrée de la souveraineté (notion élaborée, dans sa forme actuelle, par Jean Bodin au XVIe siècle) est : « l’absence de toute dépendance extérieure et de tout empêchement interne ».

Une troisième formulation que j’aime assez est : la souveraineté est la capacité d’un peuple à se gouverner lui-même librement, en vue de son bien commun.

3. Quelles priorités doit avoir l’État souverain au XXIe siècle ?

Il me semble que ce premier quart de XXIe siècle a mis fin à quelques illusions : celles de la mondialisation heureuse et paisible, celle de la « fin de l’Histoire » et du règne de la démocratie de marché, celle de la disparition des frontières et d’une libéralisation totale des échanges, etc. Les temps se troublent depuis le début du siècle, disons 2001 pour simplifier, et cela pourrait durer encore quelques années.

La priorité de l’État souverain au XXIe siècle est donc de revenir aux fondamentaux qui peuvent se ramener à trois points :

  • Maîtriser nos dépendances dans les domaines stratégiques. Le « cœur » de la souveraineté française comprend une douzaine de secteurs d’activité : sécurité, justice, alimentation, énergie, transport, communication, Dans chacun de ces secteurs d’activité, il faut développer une stratégie de long terme qui assure, non pas une impossible autarcie ou même autonomie, mais une indépendance calculée (maîtrise des risques, développement de l’innovation, soutien public à l’investissement…).
  • Renouer le Contrat social : consulter la population, comprendre les besoins les plus pressants des uns et des autres, associer au besoin ceux qui le souhaitent à l’exercice de la souveraineté (référendum d’initiative citoyenne, référendums locaux), remettre en perspective les droits et les devoirs de chacun.
  • Repenser l’exercice de la souveraineté dans les nouvelles formes d’organisations internationales : la souveraineté moderne est née philosophiquement au XVIe siècle, avec Jean Bodin, et s’est imposée politiquement au XVIIe avec les traités de Westphalie et la naissance des États nations. Depuis, les choses ont évolué sur la scène internationale et de nouveaux modèles d’organisation sont apparus, plus ou moins « intégrés » : fédérations, confédérations, organisations internationales classiques, Union européenne (souvent qualifiée d’organisation sui generis ou « OPNI » objet politique non identifié)… Ces nouveaux modèles obligent à repenser le contenu de la souveraineté d’un État : par exemple, hier, les États membres de la zone euro ont délégué leur souveraineté monétaire. On entend dire ici ou là que, peut-être, demain, ce sera le cas d’une autre compétence jusqu’ici purement régalienne comme la Défense, la Police ou la Justice ? Pourquoi pas ? Les peuples souverains en décideront. Mais cela ne se fera pas sans une profonde réflexion et de longs débats…

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