08.03.2022 Entretiens de l'OIEFintelligence économiquesouveraineté
Les révélations du documentaire sensation Seaspiracy (2021) ont jeté une lumière crue sur la porosité existante entre certaines ONG de protection des océans et des intérêts privés. En 2021, la filière viande hexagonale, et plus largement de la distribution – citons par exemple le groupe Casin – a connu des attaques répétées émanant de coalitions nébuleuses d’ONG, parfois dépendantes financièrement de fondations américaines qui ont leurs propres intérêts dans le secteur. La potentielle instrumentalisation des ONG est donc une problématique vivace et représente un risque pour différents stratégiques pour la France, de l’énergie aux infrastructures – Total ou encore Lafarge étant également des exemples types des entreprises exposées au risque écologique-activiste.
S’il y a beaucoup à dire sur l’instrumentalisation ou l’infiltration[1] des ONG par des États, nous nous pencherons ici sur l’influence potentielle d’acteurs privés sur le fonctionnement des organisations non gouvernementales. En effet, la défense – le plus souvent sincère – d’intérêts environnementaux ou sociétaux par les acteurs non étatiques comme les ONG peut parfois s’articuler et s’aligner avec les intérêts plus économiques plus prosaïques de tierces parties. À cet égard, on note par exemple la révélation fracassante du documentaire Seaspiracy, informant qu’un organisme chargé d’accorder un label de pêche responsable était en réalité financé par une des plus grosses entreprises du secteur de la pêche.
Dans leur fonctionnement même, les ONG présentent une vulnérabilité potentielle de taille, en termes d’instrumentalisation potentielle. L’action d’acteurs non marchands que sont les ONG est en effet, au moins en partie, conditionnée par les financements qu’elles sont en mesure d’obtenir. Ces derniers peuvent provenir d’une pluralité de tierce parties, appelés « bailleurs », qui se placent donc en position d’orienter l’action des ONG qu’ils financent. En outre, celles-ci ont tout intérêt à s’allier entre elles afin de mutualiser les moyens pour gagner en efficacité dans leur travail opérationnel d’investigation et de recherche. Dans ce contexte, une ONG A nouant un partenariat ponctuel avec un ONG B n’a pas forcément de visibilité sur les motivations réelles de cette dernière.
On peut également identifier une vulnérabilité que présentent les ONG en aval de leurs actions. Elles n’ont en effet pas vocation à agir dans l’ombre et la dimension plaidoyer et communication forme un volet essentiel de leur activité : il s’agit du projecteur qui permet de les faire exister aux yeux du public. Dès lors, on comprend que les ONG soient amenées à se grouper avec de tiers acteurs pour amplifier leur voix et maximiser leurs chances d’avoir un impact sur le public.
Les ONG comme instruments de déstabilisation d’entreprises françaises
À la lumière de la concurrence impitoyable qui règne dans certains secteurs d’activités sensibles ou à hauts enjeux financiers, il est assez aisé de comprendre que certains acteurs privés soient tentés d’instrumentaliser des combats légitimes pour nuire à leurs concurrents et renforcer leurs positions commerciales. Empiriquement, des entreprises françaises (comme le groupe Casino) ont fait les frais de déstabilisations émanant de fondations américaines, agissant parfois de concert avec des intérêts privés. Citons en outre l’action de l’homme d’affaire britannique Jeremy Coller, qui a eu un impact négatif direct sur la filière viande française à travers l’action de sa fondation Farm Animal Investment Risk & Return FAIRR).[2]
Dans la guerre impitoyable que se livrent les concurrents dans des domaines a forts enjeux, les ONG peuvent apparaitre comme des courroies de transmission de messages sociétaux visant à faire évoluer un marché dans une direction donnée. A tire d’exemple[3], le don de 1,14 million d’euros effectué à L214 par l’Open Philanthropy Project en 2017 peut être cité. Fondée par Dustin Moskovitz (l’un des créateurs de Facebook) et son épouse Cari Tuna (journaliste au Wall Street Journal), cette structure est dirigée par un ancien employé du Hedge Fund Bridge Waters Associates[4] et investit dans les alternatives à la viande telles que Beyond Meat ou Impossible Foods.[5]
La mise en cause du groupe Casino, Lafarge ou encore Total révèle des acteurs interdépendants fonctionnant en nébuleuse
Les actions d’ONG pointant du doigts des pratiques de grandes entreprises françaises sont souvent menées en coalitions formant des nébuleuses parfois complexes à appréhender.
En mars 2021 par exemple, une coalition d’ONG environnementales a attaqué le groupe Casino en justice au sujet de sa complicité supposée dans des pratiques de déforestations en Colombie et au Brésil. Outre les ONG françaises Envol Vert, Sherpa, Les Amis de la Terre, France Nature Environnement et l’ONG britannique Mighty Earth, cette vaste alliance de circonstance comprenait également la Global Alliance of Territorial Communities (GATC). Aussi appelée « Guardianes Del Bosque[6] », il s’agit d’une organisation regroupant des communautés indigènes à l’échelle internationale, dans le but de dénoncer les atteintes aux droits humains et à l’environnement, particulièrement en Amazonie. Cette structure collabore régulièrement avec l’ONG britannique Global Witness[7], dont l’Open Society Foundations (réseau de fondations créé en 1993 par George Soros) est le premier donateur.
Il apparaît en outre que la Global Alliance of Territorial Communities et Envol Vert aient une certaine proximité opérationnelle : le secrétaire technique de la GATC est le Français Michel Laforge, opérant depuis l’Equateur et ayant collaboré[8] Envol Vert au sujet du lien entre la déforestation et la vente de viande au groupe Casino. La convergence entre la sphère Open Society et Envol Vert semble également confirmée par le document d’assignation du groupe Casino, devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne, qui indique que la Open Society Justice Initiative (OSJI) a produit un rapport intitulé « Memorandum sur les impacts négatifs de l’industrie du bœuf au Brésil et l’implication de la chaîne d’approvisionnement du groupe Casino », dont les conclusions rejoignent celles du rapport d’Envol Vert sur le sujet (« Groupe Casino Eco Responsable de la déforestation », juin 2020).
Il ne s’agit pas là du seul exemple d’attaques menées par des ONG contre des entreprises tricolores. Début juin, des dizaines de militants d’Extinction Rébellion (XR), organisation fondée au Royaume-Uni en 2018, se sont introduit sur le site du cimentier français Lafarge à Gennevilliers. Outre les tags et banderoles, les militants ont également empêché les employés d’entrer ou sortir du site, et ont commis des dégradations ayant motivé la plainte déposée l’entreprise. Plusieurs militants d’XR pensant participer à une action strictement non-violente avaient par la suite confié leur déception envers les organisateurs et auteurs des dégradations.
En mars 2021, c’est contre le fleuron de l’industrie pétrolière française Total que l’organisation s’était mobilisée, déversant notamment du faux sang devant le siège de l’entreprise, accusée d’être « complice de crimes contre l’humanité » du fait de sa présence en Birmanie. Citons enfin les offensives de L214 contre un groupe majeur du secteur du luxe au sujet de la filière fourrure, sur la base d’une enquête menée par l’ONG en 2017 sur des élevages d’Orylag en Nouvelle-Aquitaine.
Dans plusieurs secteurs donc, pour certains stratégiques pour la France, le champ idéologique-activiste représente un réel facteur de risques multiples : réputationnels, sécuritaire, concurrentiel…
[1] « Spy cables: Greenpeace head targeted by intelligence agencies before Seoul G20 », The Guardian, février 2015
[2] Paysans & Société, numéro 369, mai-juin 2018.
[3] « La guerre contre la viande menace toute une filière », Emmanuelle Ducros, L’Opinion, avril 2019
[4] « Tis the Season — to Spend Our Way to Wealth? », Barron’s, 5 décembre 2006
[5] https://www.openphilanthropy.org/focus/us-policy/farm-animal-welfare/impossible-foods#:~:text=The%20Open%20Philanthropy%20Project%20invested,Impossible%20Burger%2C%20in%20July%202016.
[6] Les Gardiens de la Forêt
[7] https://www.globalwitness.org/
[8] « Au Brésil, l’impact de la viande vendue par Casino sur la forêt et les habitants de l’Amazonie », CCFD Terres Solidaires, juillet 2021