Paris, le 9 juin 2020 – Le gouvernement français a annoncé qu’il avait décidé d’héberger sur les serveurs de Microsoft la nouvelle plateforme de santé française (en anglais le Health Data Hub HDH). La principale société française concurrente (OVH) aurait été écartée en raison « d’insuffisances techniques ». D’autres grands groupes français, comme Orange, auraient sans doute pu également proposer d’autres options. L’Observatoire de l’Intelligence économique français (OIEF) constate que pour la deuxième fois en quelques mois, après la volonté de l’AP-HP de recourir à PALANTIR, société américaine proche des services, l’Etat français privilégie des solutions qui vont à rebours des déclarations politiques sur le réarmement national ou européen en matière de souveraineté économique, notamment dans les secteurs les plus sensibles.
L’OIEF a déjà souligné dans un communiqué en date du 8 avril 2020 combien le non-recours à une solution souveraine représentait une menace pour notre pays. Cette alerte a été renouvelée le 12 mai 2020 en interpellant les autorités publiques sur le nécessaire contrôle en matière de sécurité des données, de distorsions de concurrence, de délégations et de transparence en matière de traitement et de transfert de données de santé.
Le HDH a été constitué dans le cadre des recommandations du rapport Villani. Il vise à donner davantage de moyens à l’ensemble des acteurs de santé publique en ayant recours à l’intelligence artificielle pour exploiter les données médicales. Nul ne songe à en contester l’utilité. Typiquement, si une pareille plateforme avait pu être activée avant l’épidémie de COVID 19, elle aurait sans doute permis d’aller plus vite dans le « tracking » des personnes contaminées, dans leur suivi, et dans celui des cas contacts. Mais au-delà de l’aide à la gestion de crise, cet outil est en réalité une mine d’or. Les données de santé de l’ensemble des Français, même anonymisées, pourraient être exploitées à d’autres fins en les détournant de leur objet premier (la recherche, la prévention, la gestion de crise…). Pour l’industrie pharmaceutique, pour le commerce en ligne, pour les assurances, ces données ont une valeur marchande inestimable.
Constituant un patrimoine national, ces données doivent être traitées, stockées et exploitées en conséquence. Pour maintenir le lien de confiance avec les citoyens, mais aussi le lien entre soignants et patients, qui repose sur le respect du secret médical, l’Etat doit pouvoir garantir l’étanchéité des usages. Or, rien ne garantit qu’une fois transférées sur les serveurs de Microsoft, ces données ne sont pas exploitées à d’autres fins que celles ayant présidé à leur collecte.
Un premier courrier émanant d’un collectif citoyen a été adressé au ministre de la Santé mi-mars sur les conditions mêmes de l’octroi de ce marché, laissant planer le soupçon de délit de favoritisme. Le Sénat s’est également interrogé sur le choix de stocker ces données chez Microsoft, « société soumise au Cloud Act américain », qui peut contraindre les fournisseurs américains à transférer les données qu’ils hébergent à la demande des autorités. De plus, un collectif de professionnels de santé, dont on ne peut que féliciter l’initiative, vient de porter un recours contre la décision de l’Etat français devant le Conseil d’Etat.
Enfin, concernant la possibilité dans un second temps pour l’Etat français de revenir sur son choix initial en faisant migrer le HDH de Microsoft sur un serveur français, l’OIEF partage les inquiétudes des personnels de santé français, qui dans une pétition publiée dans Le Monde, faisaient part de leur doute quant à la réversibilité de la plateforme américaine, lui opposant « les risques d’une captivité numérique », comme ce fut le cas dans les contrats passés entre Microsoft et les hôpitaux, ou comme c’est toujours le cas entre la DGSI et PALANTIR.
Les sujets liés au numérique ne sont pas anecdotiques et ne devraient pas dans leur traitement par les instances publiques donner le sentiment d’être traités comme tels au travers des nombreux disfonctionnements que l’on ne cesse de constater depuis de trop nombreuses années.
Au moment même où les ministres français et allemand de l’Économie, Bruno Le Maire et Peter Altmaier, affirment leur volonté commune de bâtir un cloud européen autour du projet Gaia X, l’OIEF invite par conséquent le gouvernement à revenir sur une décision, qui ne présente plus de caractère d’urgence, et à faire de la commande publique un outil au service de notre souveraineté économique, qu’elle soit nationale ou européenne. L’autonomie numérique – en matière de données de santé – doit trouver à s’inscrire dans le cadre de cette souveraineté économique.
Site Internet de l’OIEF : https://oief.fr/
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