06.09.2022
Une étude menée par SKEMA PUBLIKA, le Think Tank de SKEMA Business School et ANTIDOX restitue les résultats de l’analyse de millions de tweets publiés par les jeunes de cinq pays (États-Unis, France, Brésil, Chine, Afrique du Sud) sur une période d’un an (de juillet 2020 à juin 2021), menée sur la base de consultations précédentes de groupes d’étudiants de 10 nationalités de SKEMA. Ces tweets ont été passés au prisme de plusieurs thématiques (médias, réseaux sociaux, sécurité, technologie et travail) afin d’extraire et d’analyser des données pertinentes, permettant de comparer les affects et priorités de 18-24 ans. Si tout le monde n’est naturellement pas sur Twitter, le réseau social offre néanmoins un échantillon représentatif du discours des 18-24 ans, qui y sont plutôt bien représentés (17,1% des utilisateurs totaux d’après Statista). Peut-on identifier des préoccupations communes à l’ensemble des jeunes des cinq pays étudiés ? A l’inverse, quels thèmes présentent les résultats les plus spécifiques et tributaires des particularités nationales ?
Avec 32,9 millions de tweets publiés par 1,5 million de jeunes, la thématique des médias est volumétriquement la plus importante de l’étude, « EYES : Quelles sont les préoccupations politiques des jeunes Français ? ». Parmi les tendances profondes et transversales mise en avant par celle-ci, on identifie la défiance des 18-24 ans envers les grands médias. Ces derniers sont souvent jugés peu fiables et partiaux dans leur traitement de l’information. Si cette doléance des jeunes se retrouve transversalement sur les cinq pays de l’étude, elle forme une tendance particulièrement marquée aux États-Unis et au Brésil. Au global, les pourcentages d’occurrence des mots-clefs « confiance » et « crédibilité » associés au mot « médias » sont par exemple les plus forts pour ces deux pays. Le contenu des tweets les plus engageants sur ces thématiques dénonce sans équivoque le manque de fiabilité des sources d’information. Cette polarisation polémique du discours en ligne sur les médias dans les deux pays s’accompagne d’une surreprésentation (en proportion) de tweets émanant de 18-24 ans au sujet des médias (respectivement 20,15% et 19,40% du total des tweets postés sur le thème dans leur pays, contre 15,2% pour la France).
Aux États-Unis, le hashtag « fake news media » – reprenant une formule initialement utilisée par Donald Trump – a été utilisé pas moins de 71 600 fois par les jeunes Américains sur la période étudiée. De même, les jeunes Américains sont en proportion les plus nombreux à utiliser le terme « fake news » au sein de tweets évoquant les médias (671 400 soit 2,35% du total des tweets recensés pour la catégorie médias aux USA). La période couverte par l’étude englobe en effet l’élection américaine de novembre 2020, facteur qui renforce la polarisation polémique des propos évoquant la presse. Le Brésil présente une caractéristique similaire, avec notamment la prégnance du hashtag #GloboLixo (Globo déchet), qui est en effet le cinquième hashtag le plus populaire parmi les jeunes (3 600 résultats) au sein de la partie « médias » de l’étude. L’analyse des tweets concernés révèle que les internautes utilisant ces hashtags sont des défenseurs du président Bolsonaro et fustigent les médias qu’ils jugent injustes à son égard. Le Brésil est en outre le pays où les jeunes ont le plus utilisé les mots « État » ou « gouvernement » (6,3% des occurrences) dans leurs tweets traitant des médias[1]. Afin de mettre en perspective cette information, cette proportion ne s’élève qu’à 3,20% dans le cas de la France. De plus, 50% des tweets des jeunes Brésiliens comprenant les termes « medias » et « information » avaient une tonalité négative, contre 31% pour la France. En Afrique du Sud, ce rejet des médias se caractérise par l’usage du hashtag #SAMediaMustFall.
En outre, une caractéristique transversale de l’étude est le rapport ambigu des 18-24 ans aux réseaux sociaux. Si ceux-ci sont en effet considérés comme des relais d’opinion précieux, la négativité qu’ils peuvent engendrer préoccupe les jeunes internautes, comme l’illustre le hashtag « Digital Detox », principalement utilisé aux États-Unis. Le sujet des fake news articule la thématique des médias avec celle des réseaux sociaux : si les jeunes sont majoritairement du caractère potentiellement erratique ou biaisé de l’information circulant sur les réseaux sociaux, ils ont aussi tendance à se référer à leurs influenceurs de prédilection pour appréhender l’actualité. Le sujet des GAFA articule par ailleurs la thématique des réseaux sociaux (les entreprises les plus mentionnées étant très majoritairement Facebook et Twitter) avec celle de la technologie. A cet égard, on note que les GAFA sont particulièrement décriés en France, où plus d’un quart des tweets les mentionnant ont une connotation négative. Aux États-Unis, le sujet du rôle des GAFA dans la liberté d’expression a été particulièrement mis en lumière lors du bannissement de Donald Trump de Twitter, comme l’illustrent les hashtags #TrumpTwitterBan ou #BanTrumpSaveDemocracy.
Le thème de la sécurité s’illustre comme celui où les spécificités nationales ressortent le plus : les conversations des 18-24 ans sur ce sujet apparaissent en effet tributaires de tendances et caractéristiques propres à leur pays. Aux États-Unis par exemple, les manifestations pro-Trump et les évènements du Capitole ont entraîné une hausse considérable du volume de messages associés à la sécurité, comme l’illustrent les hashtags #CapitolRiots, #SeditionHunters ou #BanTrumpSaveDemocracy. Les conversations des jeunes Sud-Africains mettent également à jour des préoccupations majoritairement tributaires de problématiques locales et régionales. Les tweets les plus engageants postés par les 18-24 ans en Afrique du Sud révèlent un tropisme pour la sécurité des frontières du pays et la thématique migratoire. On note ainsi que les jeunes Sud-Africains sont en proportion les plus nombreux – derrière les jeunes Chinois – à utiliser les termes « État » ou « gouvernement » dans les tweets traitants de sécurité (14,4% contre moins de 6% pour le Brésil, les États-Unis et la France). La jeunesse sud-africaine se montre aussi intéressée par l’actualité régionale : le hashtag #EndSARS (dénonçant la brutalité d’une unité de police anti-émeute nigériane) figure ainsi en tête des hashtags les plus utilisés par les jeunes Sud-Africains sur le thème de la sécurité.
Mais c’est le cas de la France qui illustre le mieux la nature spécifique des discussions liées à la sécurité parmi les cinq pays. La majorité des tweets les plus engageants traite en effet de l’insécurité vécue et perçue par les jeunes au quotidien, notamment dans les transports et à l’encontre des femmes.
Enfin, l’épidémie ayant touché la totalité des pays étudiés, la question du Covid-19 permet de faire ressortir clairement des déficits structurels en matière de santé. Les jeunes Brésiliens sont ainsi nombreux à dénoncer ce qu’ils considèrent être l’incurie de leur système de santé, comme l’illustre le hashtag #29MForaBolsonaro[2] (10eme hashtag le plus utilisé par les jeunes Brésiliens au sein de la thématique sécurité).
[1] Plus spécifiquement de la couverture médiatique de la présidence Bolsonaro.
[2] Faisant référence à la manifestation nationale du 29 mai 2021, contre la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement brésilien.